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Ramas

Tragédie grecque
 « Les gens sont plus abattus que jamais », confie une amie grecque, retour de son pays. Les médias n’en parlent pas, car ce n’est pas vendeur. Mais comme Ramas ne vend rien, il peut accorder une place à la situation en Grèce et évoquer cet abattement qui succède à une si grande espérance, dû à la volteface d’un parti politique qui incarna l’espoir de millions d’Européens. 




Enfants de l`Escaut (15/15)
 Les deux infirmières prenaient un café. C’était la pause. Elles étaient jeunes, jolies, enjouées, et discutaient tout en feuilletant un magazine. L’une d’elles s’occupait en particulier d’Émile, qui avait dû retourner à l’hôpital. L’autre était nouvelle dans l’établissement. 




Enfants de l`Escaut (14/15)
 Malgré le désarroi dans lequel l’avait laissé une telle misère, Émile ne regretta pas d’être allé « jusqu’au port », car s’il devait y avoir deuil des femmes, il avait le sentiment qu’il avait commencé là et il était désormais prêt à l’affronter. Restait le plus difficile : cohabiter avec sa maladie. 




Enfants de l`Escaut (13/15)
 À La Main Tendue, Émile ne put cacher très longtemps sa maladie à la direction. On lui recommanda d’abord avec condescendance de bien se soigner. Geneviève au-dedans et Jeanne au-dehors y veillèrent. Le médecin lui avait prescrit toutes sortes de potions à base d’acide arsénieux, de sulfate de quinine et d’acide phosphorique. En même temps, il devait consommer le plus possible de laitages. 




Enfants de l`Escaut (12/15)
 Lipsy était occupée. Comme si c’était le moment ! Mais n’y avait-il donc que ça dans cette saloperie d’existence ? Ils ne pouvaient pas savoir. Personne. Ils n’avaient jamais connu ça, eux. Que savaient-ils de l’amour ? Et Lipsy, jamais là quand il le faut ! 




Enfants de l`Escaut (11/15)
 C’est arrivé l’année suivante, début mai mil neuf cent cinquante-sept.

Huit jours s’étaient écoulés sans qu’Émile ne parvienne à rencontrer Maria. Le téléphone sonnait dans le vide et sa porte restait désespérément close. Pourtant, la dernière fois qu’ils s’étaient vus, Maria lui avait semblé sereine.  





Enfants de l`Escaut (10/15)
 Après avoir timidement pointé le bout de ses bourgeons, le printemps avait définitivement pris possession des lieux. Chaque année, Émile vivait cette remontée de la sève comme les signes avant-coureurs de nouvelles aventures possibles, sauf cette année-là, où il avait cueilli en plein hiver une fleur qui faisait de l’ombre à toutes les éclosions présentes et à venir. 




Enfants de l`Escaut (9/15)
 Lorsqu’il revit Maria, il la trouva plutôt enjouée, comme si quelques jours de distance avaient été nécessaires au plaisir de se voir, comme si le risque de se perdre redonnait de la valeur à l’autre, sa vraie valeur. Émile était contraint d’accepter le jeu, qui l’horripilait de plus en plus. 




Enfants de l`Escaut (8/15)
 La liaison avec Maria devint durable, mais pas monotone. D’abord parce qu’Émile était chaque fois trop heureux de la retrouver pour ressentir la moindre impression de routine. Ensuite parce que Maria rêvait trop la vie pour laisser l’ordinaire du quotidien s’installer. Enfin parce que ses humeurs imprévisibles ballottaient Émile du plus doux des bonheurs aux pires des tourments. 




Enfants de l`Escaut (7/15)
 Émile consacra cette première journée de l’année mil neuf cent cinquante-six à somnoler et à feuilleter des livres, deux matières à rêverie. Il s’en extirpa une première fois pour écrire une carte de vœux à Maria. Il voulait lui souhaiter une bonne année et lui redire combien il avait été charmé de faire sa connaissance. 




Enfants de l`Escaut (6/15)
 – La main tendue !

– La main serrée ! répondit Émile à Raymond la Constance, ne trouvant toujours pas le courage de lui dire sont fait.

– Alors, Casanova, reprit l’autre, quoi de neuf ?

– Un ange.

– Comment ça, un ange ?

– J’ai rencontré un ange. 





Enfants de l`Escaut (5/15)
 – Tu avais du travail en retard au bureau ? lui demanda Geneviève lorsqu’il rentra le dimanche soir.

– Je me demande pourquoi tu parles toujours de mes histoires intimes sur le ton de la plaisanterie.

– Tu as raison, elles sont plus vraisemblablement désespérées. Mais je préfère en sourire. Tu ne m’en veux pas ? 





Enfants de l`Escaut (4/15)
 Émile nota sur son agenda, à la page du dimanche 18 décembre 1955 : 15 h, rendez-vous avec Maria, maison de Rubens. Pas par crainte d’oublier le rendez-vous mais parce qu’il conservait tous ses agendas et ne manquait pas d’y inscrire les événements, petits ou grands, qui méritaient d’y figurer. Et les soirs de vague à l’âme, la lecture de ces mémoires en raccourci lui faisait revivre certains instants, mais lui faisait aussi mesurer la vanité des choses. 




Enfants de l`Escaut (3/15)
 La compagnie d’assurances dans laquelle travaillait Émile s’appelait La Main Tendue, symbole sans doute de la supposée solidarité qui devait régner entre les souscripteurs de contrats mais aussi clin d’œil possible à « la main jetée ». Une légende raconte en effet qu’un géant du nom d’Antigone faisait régner la terreur sur la ville et tranchait la main de ceux qui refusaient d’être rançonnés. 




Enfants de l`Escaut (2/15)
 Sautant dans le tram, Émile rentra chez lui. Façon de parler car, à vrai dire, ce n’était pas exactement chez lui : Émile vivait chez sa sœur, Geneviève, depuis déjà de longues années. De trois ans son aînée, elle s’était mariée en mil neuf cent trente. Elle avait alors vingt-trois ans. Charles, son mari, un ingénieur des chemins de fer, fit d’elle la plus heureuse des femmes.  




Enfants de l`Escaut (1/15)
 La nuit était tombée depuis longtemps déjà. Passant devant les vitrines sans les voir, Émile descendait l’avenue De Keyser, perdu dans des pensées dont ne parvenaient pas à le distraire les devantures des magasins, qui pourtant rivalisaient d’attrait. Car en cette fin d’année mil neuf cent cinquante-cinq, à la veille de la Saint-Nicolas, Anvers s’apprêtait à faire fête à ses enfants.  




Les midinettes
 Début mai 1917 à Paris. La vie continue quand, à deux cents kilomètres de là, elle est en sursis. L’offensive Nivelle s’avère de jour en jour un échec. La bataille du Chemin des Dames s’est interrompue depuis une bonne quinzaine de jours,  après que les officiers supérieurs ont cessé pour un temps, et pour un temps seulement, de jouer avec leurs soldats de plomb plein les entrailles. En ces temps de mobilisation permanente, on croise davantage de femmes que d’hommes dans les rues de la capitale. 




Boulevard Voltaire
 Ta décision est prise. Tu sors de la mairie du XIe, après y avoir laissé une lettre pour ta sœur. Vous vous étiez repliés là, une trentaine de membres de la Commune et du comité central, car l’hôtel de ville a été pris par les Versaillais. Une à une, les positions tombent. 




Au musée du Belvédère
 Des œuvres de Gustav Klimt, on peut en apprécier dans plusieurs endroits de Vienne. Au propre comme au figuré, dans sa ville, le peintre autrichien est incontournable. Mais c’est le musée du Belvédère qui en est le plus riche. 




De la licence
 Les mots français sont comme les couteaux suisses : à usages multiples. Il en est d’ailleurs ainsi dans beaucoup de langues. Il faut dire que le latin les y a beaucoup incités, qui n’est pas exempt lui non plus d’une diversité de définitions pour un même vocable. Et leur évolution au cours de l’histoire a fait le reste. Un exemple : la licence. 




J5
 Ce ne fut pas un coup de foudre et c’est mieux ainsi car il y aurait manqué la sagesse nécessaire à toute prise de décision. Non, juste un plaisir des yeux : vert des arbres et des frondaisons, bleu du ciel et beige des allées. À proximité du village mais suffisamment à l’écart pour qu’il y règne un silence de tout repos, c’est un lotissement qui joue bien des espaces et où la quiétude du lieu laisse deviner qu’on sera en bon voisinage. 




D`une chanson
 Essaie celle-ci, par exemple. Elle est simple, un peu moins cependant qu’il n’y paraît, et pourtant – ou grâce à cela – très jolie. La mélodie a quelque chose de lancinant, sur un rythme ternaire, et elle repose sur deux accords seulement : mi mineur 7e et si 7e, avec, donc, ce balancement mineur/majeur. La première fois que je l’ai entendue, c’était à l’Hôtel du Nord. Oui, celui du film. « Atmosphère, atmosphère… » 




Lettre à Henri
 Mon vieil Henri, j’ai hésité un moment avant de t’écrire cette lettre, vu que tu ne la lirais pas. Mais j’en avais envie, et voilà. Après tout, c’est pas parce que t’es mort que je ne vais plus te parler. Je pourrais même aller jusqu’à m’envoyer ta réponse, tu vois.